Détresse psychologique élevée liée au travail et risques psycho-sociaux : des liens étroits
Les résultats de l’enquête « Les déterminants de la détresse psychologique élevée liée au travail »*
publiée en octobre 2022 sur le site de l’Institut National de Santé Publique du Québec sont instructifs à plus d’un titre
Cette enquête québécoise sur la santé de la population 2014 – 2015 (enquête précédente en 2008) permet de distinguer :
– les cas de détresse psychologique élevée liée au travail et les cas de détresse psychologique élevée non liée au travail,
– de réaliser une analyse différenciée selon les sexes, en raison des réalités différentes que vivent les hommes et les femmes sur le marché du travail,
– d’explorer les liens entre détresse psychologique liée au travail et les diverses expositions professionnelles.
Détresse psychologique ?
Elle se rapporte à un ensemble d’émotions négatives (symptômes) telles que :
irritabilité, tristesse, fatigue, nervosité, pouvant mener à des troubles anxieux ou dépressifs
Divers problèmes physiologiques et comportementaux y sont également associés tels que :
insomnie, hypertension artérielle, consommation abusive d’alcool ou de psychotropes
—————————
« La détresse psychologique affecte la qualité de vie des personnes au travail et hors travail et représente un enjeu important de santé publique »
—————————
L’enquête mentionne d’autres études montrant que 80 % des personnes ayant obtenu un score de détresse psychologique très élevée (échelle de Kessler K6, site de l’INSPQ) répondent également aux critères diagnostiques d’un trouble mental de type anxieux ou dépressif.
Mais également que la détresse psychologique très élevée était associée à une mortalité accrue, soit une augmentation du risque de 30 % (+54 % pour les personnes présentant le niveau de détresse le plus élevé.
Faits saillants ?
personnes en emploi
1 personne sur 4 (28%) | présente un niveau élevé de détresse psychologique (liée ou non au travail) | ||
32 % des femmes | 24 % des hommes | ||
plus de 50 % des personnes | ayant une détresse psychologique élevée associent leurs symptômes au travail | ||
58 % des femmes | 65 % des hommes |
Ampleur de la détresse psychologique élevée :
liée au travail 17 % | non liée au travail 11 % | ||
Femmes : 19 % | Hommes : 15 % |
Les résultats de nombreuses études scientifiques indiquent qu’il existe des liens étroits entre plusieurs problèmes de santé mentale incluant la détresse psychologique et plusieurs risques psycho-sociaux du travail.
Les risques psychosociaux du travail (RPS) sont définis comme des facteurs qui sont liés à l’organisation du travail, aux pratiques de gestion, aux conditions d’emploi et aux relations sociales et qui augmentent la probabilité d’engendrer des effets néfastes sur la santé physique et psychologique des personnes exposées.
Lorsque les risques psychosociaux sont présents en milieu de travail, ils peuvent entraîner chez les travailleurs exposés des problèmes de santé psychologique et physique : troubles de santé mentale, troubles musculo-squelettiques (TMS), maladies cardio-vasculaires, accidents du travail
L’enquête québécoise a mis en évidence un autre constat : l’absence de lien entre exposition aux contraintes physiques du travail et la détresse psychologique élevée liée au travail, alors qu’il existe un lien significatif entre les TMS et cette détresse.
Hypothèse : ce seraient plutôt les douleurs associées aux TMS qui favoriseraient la détresse psychologique élevée liée au travail que les contraintes physiques du travail.
« Les travailleurs exposés simultanément à plus d’un RPS encourent une probabilité accrue
de souffrir de détresse psychologique ou de problème de santé mentale. »
Les associations les plus fortes concernent les travailleurs exposés aux RPS suivants :
niveau élevé d’exigences psychologiques |
niveau faible de reconnaissance au travail |
être souvent ou très souvent l’objet de harcèlement psychologique au travail |
L’échelle de mesure comprenait au total 6 RPS, complétant les risques précités :
niveau d’autorité décisionnelle au travail | niveau de soutien social des collègues de travail | niveau de soutien social du supérieur hiérarchique |
Un indice de cumul des RPS a été créé, indicateur qui tient compte du nombre total de risques psycho-sociaux auxquels un travailleur est exposé.
La probabilité de présenter un niveau élevé de détresse psychologique augmente de manière significative en fonction du niveau d’exposition aux risques psycho-sociaux du travail.
Les personnes en emploi exposées à un cumul de 3 RPS ou plus ont une probabilité 7 fois plus élevée pour les hommes, 5 fois plus élevée chez les femmes d’être touchés par un niveau élevé de détresse psychologique liée au travail |
Ces constats sont cohérents avec les constats de nombreuses études épidémiologiques prospectives ayant démontrées un lien causal entre plusieurs des RPS mesurés dans cette enquête et la détresse des travailleurs, de même que la dépression, l’anxiété et l’épuisement professionnel, de même que l’absentéisme pour des problèmes de santé mentale. Par ailleurs, l’insécurité d’emploi est reconnue comme un facteur pouvant contribuer à une détresse psychologique élevée (+29 % de risque de symptômes dépressifs).
En France ?
⇒ Plus de 3 salariés sur 10 sont en détresse psychologique (chiffres oct. 2021)
⇒ Plus de 9 médecins généralistes sur 10 des Pays de la Loire, soulignent l’augmentation des cas de patients
en situation de souffrance psychique en lien avec le travail (sur les 10 dernières années)
Dans la grande majorité, les patients vus en consultation présentent :
symptômes dépressifs ou anxieux : 93 % | troubles du sommeil : 91 % |
Mais également :
fatigue chronique : 19% | douleurs et autres plaintes somatiques* : 11% problèmes digestifs, eczéma, céphalées, hausse du diabète … | problèmes d’addiction : 23% |
Les médecins du travail évaluent à :
8,6 % la proportion de salariés en difficultés avec l’alcool
7 % des salariés présentent une addiction au cannabis (2 fois plus qu’en 2009)
=> des chiffres en hausse avec le développement du télétravail
Les médecins généralistes constatent l’existence de plusieurs signes cliniques susceptibles d’être liés à la souffrance psychologique au travail :
2 signes dans 54 % des cas, 3 signes ou plus dans 33 % des cas
Quelle prise en charge ?
Les médecins généralistes demandent à revoir les patients dans 96 % des cas.
Arrêt de travail prescrit le plus souvent lorsque 2 signes sont mentionnés, notamment symptômes de dépression ou d’anxiété associés à des troubles du sommeil (89%). Il peut être relativement long (3 semaines à 2 mois pour 21% des patients).
La santé mentale est la 2è cause d’arrêt de travail en France, la 1ère cause d’arrêt de travail long et d’invalidité |
L’orientation vers le médecin du travail dépend de la sévérité de la situation :
indicateur => la durée de l’arrêt de travail (patients en arrêt depuis 3 semaines ou plus)
Les médecins s’appuient sur d’autres professionnels de la prise en charge des situations de souffrance psychologique en lien avec le travail : psychologue clinicien ou du travail (58%), psychiatre (14%), mais orientent également vers les représentants du personnel, assistantes sociales ou encore les associations d’aides sociales.
Point d’alerte : les freins de la part des patients à la prise en charge
personnes ne pouvant pas consulter un psychologue ou poursuivre les RV pour raisons financières | personnes refusant un arrêt de travail | personnes refusant de consulter le médecin du travail | |||||
62 % toujours à souvent | 32 % parfois | 17 % toujours à souvent | 75 % parfois | 7 % toujours à souvent | 49 % parfois |
Enfin, l’enquête auprès des médecins généralistes des Pays de la Loire précise que les difficultés exprimées par les patients existaient avant la crise sanitaire (pour 59%), 7 % seulement lui seraient liées directement.
Les médecins interrogés constatent que 2 catégories de facteurs de risques psycho-sociaux ressortent par l’importance de la fréquence :
82 % => relations de travail dégradées (conflits interpersonnels avec les collègues ou la hiérarchie) |
69 % => intensité et organisation du travail (surcharge, imprécision des missions, horaires imprévisibles ou atypiques, objectifs irréalistes …) |
viennent ensuite :
21 % => conflits de valeurs (ne pas être fier de son travail, ne pas pouvoir faire un travail de qualité) |
21 % => manque d’autonomie et de marges de manœuvre ( rythme imposé, ne pas participer aux décisions) |
13 % => exigences émotionnelles importantes (confrontation à la souffrance, à la mort, dissonance émotionnelle, tensions avec le public) |
sont plus rarement mentionnés :
8 % => sentiment d’un manque de compétence et de formation pour réaliser le travail |
=> 7 % insécurité de l’emploi |
Quelles pistes d’actions ?
Ces études font ressortir l’importance de réduire ou d’atténuer les effets de l’exposition des personnes en emploi aux facteurs de risques psycho-sociaux. Les interventions permettent de prévenir la détresse psychologique élevée liée au travail et à d’améliorer la santé mentale.
43 % des salariés* estiment que leur entreprise ne prend pas assez en compte les situations de souffrance psychique vécues par les salariés (tendance plus marquée dans les petites entreprise, 45 %, 34 % pour les plus de 1000 salariés) *étude My Happy Job de sept 2021 |
L’enquête québécoise, fait ressortir l’importance de cibler les interventions :
=> sur les facteurs de risques les plus fortement associés à une détresse psychologique élevée liée au travail
que sont les exigences psychologiques élevées, la faible reconnaissance et le harcèlement au travail. Le facteur, relation de travail dégradées/faible soutien social (collègues, hiérarchie) ressortant par ailleurs de façon significative dans l’enquête menée auprès des médecins généralistes des Pays de la Loire
=> sur les populations exposées à un cumul de 3 RPS ou plus
du fait de la probabilité accrue d’être touchées par un niveau élevée de détresse psychologique liée au travail
=> adaptées aux diverses réalités du marché du travail ou de vie personnelle
à savoir les catégories de personnel « en bas de l’échelle hiérarchique »e, et les personnes les plus susceptibles d’être confrontées seules à l’exercice des responsabilités familiales, du fait de la charge parentale élevée, encore principalement les femmes, mais également les personnes isolées, sans vie sociale satisfaisante ou encore en situation d’aidant familial.
—————————
Réduire l’exposition aux risques psycho-sociaux constitue un des éléments clefs de la prévention des problèmes de santé mentale.
—————————
« Un nombre croissant d’études menées dans des secteurs variés suggèrent qu’un climat de sécurité psycho-sociale favorable est associée à une moindre exposition aux RPS ainsi qu’à une prévalence plus faible des problèmes de santé mentale, de détresse psychologique et d’épuisement émotionnel. »
Les 1er et 2 décembre 2022 se tient à Nantes le « Colloque International Villes & Santé Mentale », ces mots du Dr Rachel BOCHER, commissaire scientifique du colloque, résonnent avec force : « D’où l’urgence d’intervenir en amont et de développer une culture de la santé mentale pour prévenir, repérer au plus tôt, développer des actions de sensibilisation »
Ils soulignent la nécessité, toujours aussi prégnante, de promouvoir des politiques favorisant des actions de prévention et d’amélioration des conditions de travail visant à réduire les RPS dans les milieux de travail. Orientations et actions qui concourent de plus, à réduire favorablement les inégalités sociales en termes de santé mentale au sein des « populations en emploi ».
Combien de personnes renoncent en effet encore aujourd’hui à ce type de soins pour des raisons financières, par peur d’être stigmatisées ou exclues d’un collectif social ou professionnel ?
Combien de personnes y auront accès quand une trop grande vulnérabilité menace à terme, le lien contractuel, entraînant perte d’emploi, rupture, altération des capacités relationnelles et sociales, puis risque de précarité … cercle vicieux générateur de nouvelle souffrance ?
Directions, DRH, préventeurs, membres du Comité Social & Économique,
ces éclairages sont inspirants pour vos plans d’actions prévention ou PAPRIPACT 2023 !
Avez-vous actualisé l’évaluation des risques psycho-sociaux dans le Document Unique en 2022 ? Identifié unités de travail, postes, collaborateurs les plus exposés au cumul de trois RPS ou plus ? Quelles sont les actions de prévention que vous avez définies pour :
=> limiter ou supprimer les multi-expositions aux RPS ?
=> détecter précocement les salariés présentant des signaux d’alerte ?
=> sensibiliser ou former les équipes aux « Premiers Secours en Santé Mentale » ?
=> aider les collaborateurs fragilisés, avec des dispositifs internes ou externes à l’entreprise ?
Les politiques de prévention « santé au travail » et QVCT exemplaires menées au sein des entreprises, peuvent contribuer à agir fortement face aux enjeux de santé mentale dans nos sociétés, mais également face aux enjeux de performance économique, en un cercle vertueux :
au coeur de la Responsabilité Sociale des Employeurs |
Isabelle Goyard-Terzian, le 30 novembre 2022
Sources :
Enquête québécoise sur la santé de la population (EQSP 2014-2015) et boîte à outils sur le site de l’Institut National de Santé Publique du Québec (http://www.inspq.qc.ca/)
Article « santé mentale et entreprise », Culture RH du 17 mars 2022
Panel en médecine générale « Souffrance au travail », septembre 2022 (Observatoire Régional de la Santé, Union Régionale des Médecins Libéraux des Pays de la Loire)