Prévenir la désinsertion professionnelle : orientation prioritaire des plans de santé
Plan national de santé publique 2018-2022, Plan cancer, Plan maladies chroniques
Plan de santé au Travail 2021-2025, axe stratégique 2, objectif 4
« Si la question de la qualité du travail reste essentielle pour la santé de chacun, elle semble aujourd’hui devenue une piège pour tous ceux qui ont puisé dans leurs ressources propres, par défaut des conditions collectives et organisationnelles nécessaires au bien faire, et qui s’y sont épuisés. A quelle conditions le travail est-il vivable, soutenable, si on considère que c’est aussi au travail que se construit (ou se déconstruit) la santé ? Un travail soutenable qui permette un développement durable, équitable et inclusif ? » Dominique Lhuilier, psychologue du travail, professeure émérite, centre de recherche sur le travail et le développement CNAM Paris
Ce texte lu récemment (1) ainsi que les chiffres figurant dans un autre article co-écrit avec Anne-Marie Waser, résultat d’une recherche-action (2) menée avec la DRH d’une grande ville, m’ont marquée. Chiffres issus d’une enquête menée par la DREETS d’Aquitaine qui s’est intéressée non seulement à l’accroissement des inaptitudes médicales à tout poste pour raison de santé ( + 29 % entre 2006 et 2014 dans le régime général) mais aussi au devenir des salariés inaptes :
39 % sont licenciés sans projet ni solution | 27 % sont mis en invalidité |
26 % sont licenciés avec projet identifié | 8 % partent en retraite |
⇒ au total 65 % des salariés déclarés inaptes à tout poste sont licenciés
Poursuite du contrat de travail pour les 27 % de salariés mis en invalidité ⇒ maintien en emploi ?
En 2015, près d’1 million de pensions d’invalidité ont été servies, + 16,6 % sur la période 2005-2015 et + 1,6 % en moyenne annuelle, tous régimes confondus.
L’âge moyen est de 52 ans … L’entrée dans le régime d’invalidité s’analyse comme l’échec du processus de prévention de la désinsertion professionnelle.
L’ensemble de ces données révèle 3 difficultés majeurs :
prévenir l’usure prématurée | se maintenir en emploi |
revenir au travail après un arrêt long ou un licenciement pour cause de santé dégradée |
Et une piste d’action : « Il faut passer d’une logique de protection statutaire en cas d’aléas de santé conduisant à une inaptitude, à une logique de garantie de l’avenir professionnel (de l’agent) par construction de son employabilité. C’est la capacité de rester actif qui protège ».
Le colloque « Vivre en santé, au travail et au chômage : l’affaire de tous » organisé par le Cnam (Conservatoire national des arts et métiers) les 29 et 30 septembre prochain, s’annonce passionnant. (3)
C’est l’occasion à travers cet article de mettre un focus sur la prévention de la désinsertion professionnelle (PDP), qui figure au programme de la matinée du 30 septembre et parmi les priorités du 4è Plan Santé au Travail (PST) 2021-2025. (4)
Le PST constitue le cadre de la politique publique nationale, qui sera déclinée via une co-construction entre professionnels de la prévention et partenaires sociaux pour définir le Plan Régional Santé au Travail (PRST4) de chacune des régions, selon les priorités, le tissu économique et social de chaque territoire.
Le 27/09, est lancé le Plan Régional Santé au Travail (PRST 4) des Pays de la Loire, lors d’une réunion réservée aux partenaires du PRST. En attendant de découvrir les orientations prioritaires pour la région, voici un résumé du PST 4 sur cet axe, complété par les enseignements tirés du bilan du 3è Plan Santé au Travail. (5)
Le 4è Plan Santé au Travail, fixe donc les orientations en matière de santé au travail pour les quatre prochaines années, il comprend quatre axes stratégiques :
1 – Prévention primaire et culture de prévention
2 – Désinsertion et usure professionnelle et maintien dans l’emploi
3 – Défis d’aujourd’hui et de demain
4 – Pilotage et gouvernance
et s’articule autour d’un axe transverse : « lutter contre les accidents graves et mortels ». Il est doté pour la première fois d’indicateurs stratégiques.
Un axe stratégique majeur du PST 4 est consacré à la PDP : « structurer, développer la prévention de la désinsertion professionnelle, la prévention de l’usure, le maintien dans l’emploi et accompagner les salariés et les entreprises concernées ». |
⇒ De quoi parle-t-on ?
L’usure professionnelle est un processus d’altération de la santé au travail qui se traduit par une accélération du vieillissement de la personne et une dégradation de ses capacités physiques. Ce processus progressif peut avoir des conséquences tant sur la santé des collaborateurs que sur le bon fonctionnement de l’entreprise. Les manifestations de l’usure professionnelle peuvent être multiples : incident, accident, douleurs, maladies, troubles musculo-squelettiques (TMS), troubles psycho-sociaux …
Elle peut se traduire par la démotivation, l’absentéisme, des restrictions d’aptitudes ou encore du turn-over, la perte de compétences, des problématiques de baisse de performance, ou d’attractivité.
Sans repérage des signaux, le processus d’usure peut conduire à la rupture du contrat de travail (conséquence de l’absence de reclassement interne à l’entreprise suite à avis d’inaptitude ou de recherche anticipée de reclassement externe à l’entreprise), parfois suivi, en raison d’une période de chômage plus ou moins longue, d’une désinsertion professionnelle, qui nécessite alors un accompagnement spécifique.
La prévention de l’usure professionnelle contribue ainsi directement à la prévention de la désinsertion professionnelle, en particulier en réduisant le risque de maladie professionnelle. |
Enfin, selon l’HAS (la Haute Autorité de Santé), le maintien dans l’emploi est défini comme « un processus d’accompagnement des personnes présentant un problème de santé avec un retentissement sur leurs capacités de travail, dans le but de les maintenir durablement en emploi (et pas seulement dans leur poste de travail, ni dans la seule entreprise d’origine) dans des conditions compatibles dans la durée avec leur santé ».
⇒ Quels sont les enseignements du PST3 sur l’axe PDP ?
Les troubles musculo-squelettiques (TMS) prédominent dans les causes des arrêts de travail et des incapacités. Les TMS sont la première cause de maladie professionnelle en France (22 millions de jours non travaillés du fait des TMS dont 12,2 millions uniquement pour les lombalgies).
Manque de lisibilité et d’accessibilité des dispositifs d’accompagnement des salariés et des entreprises. Variété et diversité des acteurs institutionnels intervenants sur l’offre nécessitent un effort de coordination.
Mise en évidence du lien entre prévention de l’usure professionnelle et prévention de la désinsertion professionnelle. « L’effet travailleur sain est connu, mais l’usure peut se manifester chez des salariés non seniors ».
5 à 10 % des salariés sont menacés à court terme par un risque de désinsertion professionnelle. Par exemple, parmi les personnes en activité lors du diagnostic de cancer, 3 personnes sur 10 ont perdu leur emploi ou l’on quitté 2 ans après (enquête VICAN2).
Le repérage précoce (dont la surveillance médicale fait partie) est essentiel et permet la mise en œuvre de moyen de prévention.
⇒ Quels sont les points clefs du PST4 en matière de PDP ?
Mobiliser les Services de Prévention et de Santé au Travail (SPST) dans la détection du risque des salariés concernés. Renforcer l’accompagnement de proximité fourni aux entreprises et aux salariés. Nouvelle visite médicale de « mi-carrière » instaurée par la Loi du 2 août 2021. Création de « cellule PDP » identifiée au sein de chaque SPST.
Repérer de manière précoce les salariés concernés par un risque d’usure ou de désinsertion professionnelle afin de déclencher le plus tôt possible une prise en charge appropriée et coordonnée entre les acteurs responsables de leur accompagnement.
Renforcer la prévention primaire collective des risques d’usure professionnelle. La prévention des TMS est un enjeu majeur, qui repose sur plusieurs leviers dans l’entreprise : solution technique, solution agissant sur l’organisation et actions de sensibilisations au risque et à sa prévention.
Favoriser le maintien en emploi des personnes, notamment celles atteintes de maladies chroniques ou en situation de handicap, en faisant mieux connaître les solutions existantes, dans une logique de parcours, et en les adaptant toujours plus aux réalités des situations vécues.
Au global, le PST 4 conforte le renversement de perspective opéré par le PST 3 en accordant la priorité à la prévention sur la réparation, dans la continuité de l’ANI du 9 décembre 2020 et de la loi (6) |
et réaffirme la responsabilité des employeurs en matière de prévention primaire |
Prévenir la désinsertion professionnelle, c’est éviter les processus d’exclusion, en particulier en lien avec les conditions de travail et les pratiques d’entreprise |
Accompagner les personnes fragilisées pour raison de santé dans leur parcours (reprise du travail, maintien en emploi, inclusion sociale & professionnelle), c’est la raison d’être de Chemins de Traverse. Une mission qui s’inscrit dans un champ vaste et des chantiers encore en construction. Quel encouragement de constater que parmi les axes de progrès mis en avant par chercheurs et acteurs de terrain, figurent deux dimensions essentielles du dispositif d’accompagnement que je propose :
⇒ la prise en compte du travail comme vecteur de santé (8)
⇒ la mobilisation des parties prenantes, le collectif d’entraide entre pairs (la « pair-aidance »), ressources agissantes dans le parcours de rétablissement.
Quel enthousiasme aussi, de percevoir à travers la modification de l’acronyme QVT en QVCT (7), la remise en avant des conditions de travail. Et de ce fait, la prise en compte du travail réel (son contenu, son organisation, sa charge, sa réalité …), de l’impact de ses conditions de réalisation sur la santé physique et psychologique des salariés.
« Est-ce la santé ou le travail qui doit être placé au coeur de la PDP ? » une question ouverte par les travaux de recherche |
La santé au travail, enjeu sociétal, où ceux-là même qui risquent d’être progressivement exclus du monde du travail – les salarié.es fragilisé.es par la maladie, une situation de handicap, l’inaptitude ou l’invalidité, les salarié.es usé.es, détiennent un savoir expérientiel, de par les stratégies mobilisées pour se maintenir en activité ou retrouver un emploi. Dans leurs trajectoires exemplaires, se trouve une part d’expertise et donc une partie des réponses à la question posée.
« Éloge de la vulnérabilité » ?
C’est une tentation … Je vous invite à lire à ce sujet le billet de Dominique Lhuilier, édito au livre co-écrit avec Anne-Marie Waser « Que font les 10 millions de malades ? ». (9)
Plus utilement sans doute un changement de polarité. Laissons un instant la « force » dans l’ombre, pour observer ce que nous enseigne la « fragilité », comment elle survient et pourquoi, puis comment elle se transforme. Et loin d’opposer salariés « performants » et ceux qui sont jugés à l’inverse, apprendre les uns des autres, c’est trouver la voie du milieu, rendre possible un rééquilibrage. La fin septembre ouvre la saison de la Balance : justesse, équilibre.
Reconnaître que la vulnérabilité est humaine, « se reconnaître une vulnérabilité commune » : choix de société, l’affaire de tous …
Isabelle Goyard-Terzian, 26 septembre 2022
Références
(1) Cahier de l’ANACT n° 1 « prévention de la désinsertion professionnelle » (enseignements tirés de l’Appel à projets FACT)
(2) paru dans le n° 157 « Travailler avec une santé altérée » de la revue « Références en santé au travail » de l’Inrs en mars 2019
(3) Programme colloque CNAM « Vivre en santé, au travail et au chômage : l’affaire de tous » : https://lise-cnrs.cnam.fr/le-laboratoire/evenements-et-actualites-de-la-recherche-concernant-le-lise/vivre-en-sante-au-travail-et-au-chomage-l-affaire-de-tous–1344465.kjsp
(4) PST 4 présenté le 14 décembre 2021 en Conseil National d’Orientation des Conditions de Travail, qui fixe les orientations en matière de santé au travail pour les quatre prochaines années (2021 à 2025)
(5) « Plan Santé au Travail 3 2016-2020 Bilan » https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/pst3_2016-2020_bilan_vok.pdf
« Plan Régional Santé Travail Pays de la Loire 2016-2020 : quels projets ? Quels résultats ? » https://www.prst-pdl.fr/wp-content/uploads/2021/05/Bilan-PRST3-PDL.pdf
(6) Accord National Interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020 « pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail »
(7) Depuis l’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020, le champ de la « Qualité de Vie au Travail » – QVT – est élargi à la prise en compte des conditions de travail ; désormais, la démarche est dénommée « Qualité de Vie et des Conditions de Travail » – QVCT
(8) « Le maintien dans l’activité de travail constitue, à certaines conditions, une des dimensions essentielles du parcours de soin et de vie. Le travail peut en effet contribuer à améliorer l’estime de soi et à renforcer une identité socio-professionnelle, distincte d’une identité de malade, de personne en incapacité ou en situation de handicap. »
(cf Cahier de l’ANACT n°1)
(9) édito D. Lhuilier : https://www.editions-eres.com/edito/eloge-de-la-vulnerabilite-decouvrez-le-billet-de- « Que font les 10 millions de malades ? » aux éditions érès
(Prix du livre RH Le Monde – Sciences Po – Syntec 2017)